Par Viviane Nkurunziza – 10 mars 2014
@ Viviane Nkurunziza |
Un dimanche d’été 2012, alors que
nous nous rendions à Rumonge entre copines et que tout allait bien, on eut
la surprise d’une crevaison de pneu à quelques mètres de notre destination. Le
plus marrant c’est que quelques minutes avant le fait, l’une d’entre nous avait
lancé le débat du que ferions-nous s’il y avait crevaison vu qu’on voyageait
sans garçon avec nous ? Heureusement, parmi nous, certaines s’y
connaissaient quant au maniement des outils pour parer à ce genre de problèmes.
Des passants, particulièrement deux
hommes, nous proposèrent leur coup de main. Nous acceptâmes. A la fin, l’un
d’entre eux s’approcha de moi et me glissa doucement tel un vieux sage : « Ne voyagez plus jamais seules sans être
accompagnées par un homme ! » Et moi telle une grande dame,
ambassadrice de toutes les femmes de la terre et sûre de moi, je lui demandai
quel était son métier et s’il avait des enfants. Si oui, avait-il une
fille ? Oui, me répondit-il et il était chauffeur de bus. Ne dis jamais à
ta fille ce que tu viens de me dire. Ne lui dis jamais qu’elle ne peut rien
d’elle-même sans un homme. Armes-la plutôt des outils nécessaires pour qu’elle
puisse toujours et avant tout compter sur ses propres capacités et quand tu lui
apprendras à conduire, apprends lui aussi à réparer une voiture en panne. Il me
regarda longuement sans pouvoir me répondre et je lui remerciai pour son aide.
Le 8 mars rime souvent au Burundi avec
les droits de la femme et qui dit droits dit accès à l’éducation formelle,
lutte contre les violences faites aux femmes et dans certains pays, lutte pour l’égalité
des salaires. J’aurais bien voulu parler du combat des Femen qui me tient particulièrement
à cœur. Je ne serais pas capable de mener le combat tel qu’elles le font mais
ces jeunes femmes m’impressionnent énormément par leur courage. C’est donc vers
mon pays que je me suis tournée et fait des recherches. J’ai choisi d’écrire
sur l’éducation dite informelle qui forge les femmes et les hommes que nous
sommes.
Petite, on apprend à la fille à bien
se tenir, à mesurer ses mots (moins on en dit, mieux on est éduqué), à être propre, à bien tenir la
maison. Le but étant d’en faire l’épouse idéale. Au petit garçon on dit que
c’est un homme, un soldat et qu’il ne doit pas pleurer parce que ce sont les
filles qui pleurent parce qu’elles sont faibles. A l’adolescence le jeune garçon
est livré à lui-même et on ne s’inquiète plus de savoir s’il a pris une douche
ou pas, s’il porte des habits propres, si sa chambre est rangée. C’est un
homme ! Il n’a pas à s’en soucier et on le lui fait comprendre. Pourquoi
se donnerait-il autant de mal alors que quelque part au monde, au Burundi, une
fille est en pleine formation « professionnelle » et continue pour
prendre soin de lui dans le futur ?
Plus jeune, comme la plupart des burundaises
j’imagine, j’ai eu droit de la part de ma mère à la fameuse phrase : ‘Ntaco uzokwimarira. Bazohava bagira ngo
sinakureze!’ quand je passais deux jours sans faire mon lit. Il lui
arrivait de fouiller dans mon placard pour voir s’il était bien rangé. Pourtant
je ne l’ai jamais entendu dire la même chose à mon frère. Lui qui ne fermait
jamais la porte de sa chambre laissant à la terre entière une vue sur son « territoire ».
Ça me surprend toujours quand j’entends
des mères ou des jeunes femmes de mon âge s’indigner de leurs maris qui participent
peu aux tâches ménagères ou qui ne font jamais leur lit. Ils sont paresseux. La
faute à la culture, se plaignent-elles. C’est drôle comment il ne leur traverse
jamais l’esprit que leurs maris sont en fait leurs fils. Qu’elles sont, elles, leurs
filles qu’elles élèvent avec autant d’acharnement pour en faire des épouses
irréprochables et sans tâche. Je me plains parfois aussi mais par quelle miracle
veut-on que du jour au lendemain nos frères, nos fils, nos amis et nos maris
deviennent ces hommes extraordinaires dont on rêve qu’ils soient ? Que la
fragilité et le manque d’assurance qui nous caractérisent souvent, nous femmes,
se transforment et qu’on devienne par un coup de
baguette magique ces femmes fatales que nous pourrions être si nous le voulions
(Vraiment ?).
Après l’université que deviennent la
majorité de nos anciennes camarades ? Elles se marient. L’horloge biologique
tique. Elles font des enfants. Elles atteignent finalement ce à quoi elles ont
été destinées et « formées » pour, à savoir fonder une famille et en
prendre soin. Difficile dans pareils cas de concilier carrière et vie de
famille n’est-ce pas ? Surtout quand on doit faire la fierté de la
société. Après tout, le mari travaille, il pourvoit aux besoins de la
famille ! On lui devra donc le respect parce que vous savez, les hommes sont
comme des petits enfants, il faut aussi les materner ! Sinon quoi ?
Il ira voir ailleurs ? Il rentrera de temps en temps tôt et de temps en
temps il nous emmènera dîner dehors pour nous faire plaisir.
Je ne suis pas mariée mais je suis
une femme et je vis dans une société qui prône haut et fort ces différences
entre les hommes et les femmes. « Tu
es une fille, tu devrais ranger le bureau tous les matins. Incroyable qu’il y
ait autant de bordel alors que tu es là ! ». Me disait à une
époque un collègue de travail alors que 99% du matériel était le sien et que
tout le bordel était causé par lui. Sans doute s’attendait-il à ce que je lui
fasse aussi son café tous les matins, parce qu’il ne tarissait pas d’éloge sur
une collègue qui le lui en préparait tous les matins. Sans doute me trouvait-il
male éduquée ou trop prétentieuse pour le faire.
Il y a beaucoup de choses à dire sur
le sujet que je ne pourrais tout dire ici. Nos papiers qui nous sont demandés à
l’entrée d’un hôtel parce qu’on est une fille. Ou encore, vous l’aurez remarqué
lors des fêtes en famille ou lors de la dot, les filles font le service et les
hommes supervisent. On est trop lente. Ils s’énervent. On s’exécute quand-même.
Quand la fête est finie on range les chaises, ils boivent un verre eux. Ils
rigolent. C’est qu’ils sont fatigués les pauvres !
Ne parlons pas de la logique qui veut
que les enfants aient le plus besoin de leur mère que de leur père parce
qu’elles s’y prennent le mieux. Comme si on avait une espèce de gène
particulier. D’accord on porte des bébés pendant 9 mois, on les allaite et ils
ont peut-être, nourrissons, plus besoin de notre présence.
N’oublions pas que les temps ont
changé, que de nos jours les femmes ont de plus en plus de postes à responsabilité
et des salaires attrayants faisant d’elles des femmes indépendantes et aptes à
contribuer au même titre que leurs maris et plus que ne l’étaient nos mères,
aux besoins de la famille. Ne devrions-nous pas plutôt nous en réjouir ? Ne
devrions-nous pas d’abord disposer, qu’on soit femme ou homme, du droit à avoir
des enfants ou de ne pas en avoir ? De se marier ou de ne pas se
marier ? Seriez-vous peut-être de ceux qui disent dans ces cas ‘isi yarapfuye’. De ceux qui croient que les
femmes d’aujourd’hui veulent toutes devenir des hommes ? Il fut un temps
j’y croyais aussi. Faut dire que mon éducation à la burundaise et catholique ne
laissait de place au contraire. Pourquoi changer le naturel ? Aujourd’hui
je dis non ! Non à cette opinion qui accepte l’avancée des technologies
devant lesquelles on s’incline tous mais qui refuse l’évolution des mentalités
quand il s’agit de la femme. Au nom de Dieu ? D’un « état des choses
universel et immuable » ?
A vous mesdames, les hommes ne sont
pas les seuls à blâmer dans cette histoire, au contraire. L’éducation des
enfants dans notre société est encore l’affaire des mères. On peut encore
changer les choses. A vous tous qui pensez que j’ai perdu la tête, je dis, adoucissez
vos cœurs, ouvrez-les au changement car le combat ne fait que commencer. Et non
mesdames et messieurs, vous n’êtes pas en train de rêver !
ppapillonvert@gmail.com